Poisson d'avril 2017 "La mort de l'armée"

La trahison a un prix.

Il y a de cela quelques années déjà, le conseiller du roi Roland IV avait temporairement quitté son poste afin de porter son soutien aux contrées d'Infitialis et tenter d'endiguer la menace représentée par l'armée de Nôrgul qui semblait ne jamais faiblir. Pour le bien de Vesperae, l'avenir de ces terres que l'Armée Royale défendait depuis des âges, il avait quitté les bureaux confortables du château pour reprendre les armes en première ligne et se salir les mains du sang des démons et monstres à la solde du Tyran. Si la situation semble toujours être la même, en réalité les frontières purent se stabiliser et ainsi la présence de Tyroine n'était donc plus aussi déterminante qu'à son arrivée. De plus d'inquiétantes nouvelles du continent principal faisaient mention du retour de nombreux criminels et assassins de renom comme la terrible Royal Vengeance.

C'est avec détermination et implacabilité que le conseiller du roi revint finalement en Vesperae afin de reprendre la place qu'il avait laissée à son remplaçant, le diplomate Lionidas. Après une longue semaine de course pour rejoindre le château accompagné de quelques uns de ses soldats d'élite opérant initialement à Infitialis, quelle ne fut pas sa surprise en découvrant la situation politique de l'Armée. Ainsi en son absence l'on avait osé comploter contre son autorité et permettre d'éclater son gouvernement, chacun récupérant sa part du butin comme un maudit clébard rongeant l'os du prestige qui fut le sien. Comble de l'arrogance, il trouva aux portes du hall du palais l'affiche de Bardock, l'un de ses plus grands et anciens frère d'arme, clamant haut et fort son obtention de l'ouest du royaume.

Bardock... lui avec qui il combattit moult dangers, survécut à des centaines de batailles contre démons et elfes noirs, lui qui avait pleuré la mort de ses plus fidèles compagnons, lui qui avait connu l'âge d'or de leur armée fondée par Zoy qui quitta ces terres trop tôt... Lui, son frère d'arme, l'un de ses plus fidèles amis, osait ainsi le trahir ?

Furieux, il arracha l'affiche et la déchira en proférant des jurons religieux que même Donblas ne saurait pardonner, sous le regard inquiet de ses soldats. Mais ce n'était pas que lui, même Zarla, cette jeune et prometteuse soldat avait fini par rentrer dans les bonnes grâces de ses détracteurs pour s'attribuer le sud du royaume. C'était comme si après toutes ces années, ils avaient oublié de quoi était capable l'hybride quand on trahissait sa confiance. Et quand bien même ils représentaient beaucoup à ses yeux... Tyroine ne pardonnait pas la traîtrise. Jamais.

- Soldats... rassemblez la majorité de notre armée, nous partons en guerre. Le royaume ne peut pas se permettre de laisser les membres de l'Etat Major de notre armée séparer nos troupes pour le bon plaisir de quelques conspirateurs arrogants. La Royal Vengeance s'est réveillée, ses armées démoniaques se préparent à déferler sur le château et pourtant, ces traîtres fuient la queue entre les jambes et tentent de protéger leur petite parcelle de gloire... je ne le permettrai pas !

Nous allons exécuter les traîtres et récupérer l'ensemble de notre armée. Ensuite seulement nous pourrons accueillir ces déchets de démons sous le meilleur auspice. SOLDAT, SUIVEZ MOI !

Galvanisés par le bref mais poignant discours de l'ex-conseiller du roi qui clamait de nouveau ses droits et qui avait tout le soutien de la reine Egléna qui tomba pour lui, les soldats de l'Armée Royale dégainèrent leurs lames de leur fourreau et hurlèrent à l'unisson pour ouvrir la chasse aux traîtres, aux déserteurs. Bien évidemment il s'assura d'envoyer des espions surveiller l'Antre des enfers... même si quelques démons lançaient des raids de moindre importance dans les forêts, leur armée n'était toujours pas prête même après toutes ces années. C'était le moment ou jamais de récupérer l'intégralité de son armée avant qu'il ne soit trop tard et que la Royal Vengeance se rende compte de l'opportunité.

L'honneur et la nostalgie le poussèrent alors à commencer par Bardock... à moins que ce n'était que par pure fierté dictée par ses instincts de guerrier, car il savait au fond de lui qu'il était la dernière plus grande lame de leur armée et que toutes ces années au fond de lui il aurait voulu confronter leur force. Plusieurs jours s'écoulèrent sous les pas lourds du moyen groupe armé de Tyroine. Il découvrit avec stupeur sur le chemin qu'ElevenSnake avait été annexée par de curieux et magiques événements, ce qui le rassura dans la décision d'être revenu en Vesperae qui avait toujours besoin de lui.

C'est sous une pluie battante qu'il fit stopper son cheval dans la sombre forêt de Naep, aux abords du village du même nom. Ses informateurs lui avaient rapporté que Bardock comptait fortifier le village pour le transformer en une véritable capitale de son nouvel état. Mais c'était sans compter le courroux du conseiller qui bénéficiait en plus de cela de l'effet de surprise. Il fit pénétrer ses troupes dans le village déjà occupé par les hommes de Bardock estomaqués par la situation. Les soldats du conseiller entourèrent rapidement la base improvisée de Bardock qui restèrent stoïques et silencieux, laissant Tyroine descendre de son cheval sur un sol boueux salissant son armure légère de bataille, lui rappelant qu'il était ici pour se débarrasser de cette salissure qu'était devenu son vieil ami. Il vociféra en tirant sa lame, attirant l'attention de son adversaire :

- BARDOCK ! Sors donc maudit traître, l'heure des impôts est venu mon "ami" !

Décontenancé et surpris, Bardock sortit de sa tente improvisée pour découvrir les deux armées murées dans un silence tendu, personne n'ayant encore dégainé son épée si ce n'est Tyroine. Son vieux camarade avait le visage renfrogné et marqué de très nombreuses cicatrices, témoins de ses innombrables combats sur Vesperae et au delà du mur. Ne comprenant pas tout d'abord les intentions ou les accusations de Tyroine, il se contenta d'un geste décontracté des bras pour appeler au calme.

- Tyroine, je ne comprends pas mon vieil ami... que signifie cette intrusion? Tu me qualifies de traître, j'ignore ce que l'on t'a raconté mais tu es dans le faux. Pensais-tu que nous allions indéfiniment attendre le retour de l'ancien conseiller du roi parti guerroyer au delà de Vesperae ? Le modèle politique de notre nation était daté, primaire. Tu agissais peut-être dans l'intérêt de tous, mais tu agissais dernièrement comme un monarque... ou un tyran. Cette décision fut prise à l'unanimité et reste la meilleure pour le royaume, de quoi t'insurges-tu ?

- Silence vermine ! *Ses yeux brillant d'un rouge démoniaque rappelant à Bardock que Tyroine est effectivement mi-homme mi-démon* Après tout ce que nous avons vécu, tu oses te dresser face à moi ? Tu as bien du toupet, Bardock... Crois-tu que j'aie oublié que tu as déserté l'Armée Royale afin de prendre ta retraite il y a de cela plusieurs années ? Oh, tu pensais que revenir bien des lunes plus tard allait attendrir mon jugement ? Même malgré ça j'avais toujours une profonde admiration pour toi, tes faits d'armes, ta force... mais tu as vieilli mon ami. Tu as laissé la quiétude guider ta vie même si ce fut pour un court instant, tandis que j'enchaînais les champs de bataille et tentais d'endiguer les armées de Nôrgul. Et aujourd'hui, TU OSES me prendre ce qui m'appartient de droit ?! Il est temps d'assumer tes actes, EN GARDE !

C'est sous le vacarme d'une pluie torrentielle que Tyroine se jeta à corps perdu dans le combat, forçant Bardock à dégainer son épée malgré ses intentions de régler la situation par la parole. C'est comme si Tyroine avait perdu la raison, comme si son sang de démon bouillonnait à nouveau lorsqu'ils combattirent ensemble autrefois et que plus d'une fois le demi-démon avait perdu de vue la voie de la justice. Mais même malgré cette folie sanguinaire, Tyroine comptait régler cela de dirigeant à dirigeant... il avait besoin des hommes de Bardock, un bain de sang entre deux armées indépendantes ne lui apporterait rien.

Le combat s'engagea alors, laissant parler l'acier des armes. Un dialogue douloureux à l'issue mortelle et incertaine, car bien que Tyroine appuyait sur la vie de quiétude adoptée jadis par Bardock, il savait que dans son heure de gloire il ne lui aurait jamais atteint la cheville.

Le combat fut finalement d'assez courte durée mais d'une intensité folle où chaque seconde s'écoulait comme des heures. Les épées tranchaient le vide et les gouttes de pluie rendant le sol encore plus boueux. Un coup en estoc de l'ex-conseiller lacéra légèrement la hanche de Bardock qui ne s'était pas équipé pour un duel. Il répliqua d'un coup horizontal dans le buste de Tyroine qui para tant bien que mal au dernier moment, mais ne put éviter le coup de poing de Bardock qui le força à reculer en se tenant le visage. D'une vivacité ahurissante, le soldat d'élite vêtu de sa symbolique tenue verte fonça dans l'angle mort du visage de Tyroine et tenta de porter un coup pour le neutraliser sans le tuer.

Mais cette bonté d'âme fut son erreur, il hésita l'espace d'une seconde et la boue le fit légèrement trébucher. Il se rattrapa tant bien que mal en posant genou à terre, mais il était trop tard. Le regard teinté de sang de Tyroine transperça ses yeux accablés par la douleur de ce duel fratricide en même temps que la lame de son opposant qui transperça son buste. Le sourire incontrôlable de Tyroine se dessina sur son visage présentement hideux : il avait triomphé de l'une des plus grandes légendes de l'Armée Royale, statut acquis alors qu'il n'était encore qu'un soldat parmi des centaines.

Comme si l'issue de ce combat ne pouvait pas avoir de vainqueur, aucun soldat ne sembla se réjouir de cette décision du destin, et les deux corps restèrent immobiles quelques instants qui parurent interminables. Le sourire de Tyroine se peint alors d'un filet de sang perlant sur le visage de Bardock, pour disparaître et laisser place à une mine déconfite. Sans doute aveuglé par sa courte victoire sur son opposant, il n'avait quasiment pas senti la dague qui s'était glissée derrière sa nuque et transperça alors sa chair sous le regard grave et triste de Bardock. Sachant qu'il ne pourrait contrer le coup de Tyroine, il avait lâché son épée au dernier moment pour le transpercer d'une dague la seconde après qu'il fut lui même empalé.

- Pardonne moi... mon ami... Mais je connais la signification de ces yeux et.. je ne pouvais pas... laisser Vesperae à.. cette partie de toi... Ce fut un... grand duel espè... d'i...diot...

L'ex conseiller du roi s'écroula sur le torse de Bardock, les deux baignant désormais dans une mare de sang s'agrandissant à chaque seconde. Les deux guerriers avaient visé simultanément les points vitaux, il était trop tard pour eux. Tyroine ferma les yeux, comme apaisé... son esprit était redevenu clair et limpide, comment avait-il pu se laisser emporter au point de tuer l'un de ses plus grands amis et modèle... une larme coula le long de ses joues... ou était-ce de la pluie ? Cette peinture macabre et surréaliste semblait attrister les cieux eux-même de la perte de deux grands guerriers, laissant derrière eux une armée désœuvrée, dépouillée de ses plus grands hommes d'expérience et aptes à gérer les menaces du royaume.

Bientôt les légions de la Royal Vengeance allaient déferler sur Vesperae avec la disparition certaine de l'Armée Royale, d'une grande partie de l'Histoire.

C'en était fini de l'Armée*Royale.